Pausanias est un auteur du deuxième siècle de notre ère dont, en fait, nous savons très peu de chose. Comme souvent, c’est du texte même qui nous est parvenu sous son nom, que nous pouvons tirer quelques renseignements sur l’auteur.
Il apparaît ainsi qu’il doit être né sous le règne de l’empereur Hadrien
(°76, emp. 117-138) et qu’il vivait certainement encore sous le règne de
Marc-Aurèle (° 121, emp. 161-180) dont il doit avoir été l’exact contemporain.
Dans les années 173-175, Pausanias a rédigé une Description de la Grèce (Περιήγησις Ἑλλάδος), parcours à travers
les cités de la Grèce continentale rassemblant, sur une trame topographique,
des récits historiques et mythologiques, des informations sur les cultes, sur
les traditions, sur les monuments. Il a auparavant voyagé à travers la Grèce et
vu beaucoup de ce dont il parle. Son œuvre n’est cependant ni un récit de
voyage, ni un guide touristique. Compilant un grand nombre d’informations
livresques, sa Description de la Grèce, n’était également pas destinée à être
lue sur le terrain.
L’auteur n’a pas rédigé d’introduction à son ouvrage ou, s’il l’a fait,
elle est aujourd’hui perdue. Ce ne serait pas étonnant, dans la mesure où les
premières feuilles d’un livre sont les plus menacées et pourraient, au cours de
la tradition, avoir disparu. Le texte de Pausanias nous est en effet connu
par des copies manuscrites du XVe s. remontant à un seul exemplaire arrivé en
Italie avant 1418 chez un certain Niccolò Niccoli. Si cet exemplaire était
incomplet, notre texte l’est aussi. L’analyse paléographique, cette spécialité
de la philologie qui s’occupe des manuscrits, révèle que l’exemplaire dont
dérive toutes les copies existantes du texte, et qui est aujourd’hui perdu,
n’était pas antérieur au Xe s., car il devait être écrit en minuscule. Il était
lui-même la copie d’un codex en
majuscule, datant peut-être du VIe s., remontant lui-même à un exemplaire
reproduit sur dix rouleaux de papyrus. Avec plus ou moins d’étapes entre chacun
de ces relais, le texte que nous pouvons lire aujourd’hui dans nos éditions
scientifiques est donc le produit, le moins imparfait possible, d’un travail
scientifique portant sur des copies, de copies, de copies, de copies du texte
écrit par Pausanias.
Pour autant, il n’est pas certain que quoi que ce soit manque au début de
l’œuvre et Pausanias saisit par deux fois l’occasion de préciser un peu son
but, à la fin de la partie consacrée à l’Attique (Athènes et sa région) et
avant d’entamer la description de la ville de Sparte (Pausanias, Description de la Grèce, III, 11, 1) :
Ὃ δὲ ἐν τῇ συγγραφῇ μοι τῇ Ἀτθίδι ἐπανόρθωμα ἐγένετο, μὴ τὰ πάντα με ἐφεξῆς, τὰ δὲ μάλιστα ἄξια μνήμης ἐπιλεξάμενον ἀπ’ αὐτῶν εἰρηκέναι, δηλώσω δὴ πρὸ τοῦ λόγου τοῦ ἐς Σπαρτιάτας· ἐμοὶ γὰρ ἐξ ἀρχῆς ἠθέλησεν ὁ λόγος ἀπὸ πολλῶν καὶ οὐκ ἀξίων ἀφηγήσεως, [ὧν] ἃ ἕκαστοι παρὰ σφίσι λέγουσιν, ἀποκρῖναι τὰ ἀξιολογώτατα. ὡς οὖν εὖ βεβουλευμένος οὐκ ἔστιν ὅπου παραβήσομαι.
« La mise au point qui se trouvait dans mon écrit sur l’Attique — à savoir que je n’ai pas tout dit à la suite, mais uniquement ce qui est digne de mémoire, après sélection — je vais la clarifier avant de dire ce qui concerne les Spartiates : dès le début, mon propos a voulu, de la masse des choses indignes d’être rapportées et que chacun dit chez soi, distinguer ce qui mérite le plus d’être dit. Par conséquent, comme c’est un plan auquel j’ai bien réfléchi, nulle part je ne m’en écarterai. » (Trad. O. Gengler, texte établi par M. Casevitz, pour Les Belles Lettres)
Pausanias décrit donc ce qui vaut la peine d’être rapporté de la ville de
Sparte, et avant tout son agora, sa
place publique (III, 11, 2-11). C’est un vaste espace rempli de statues et de
lieux de culte, dont la localisation n’est pas certaine. À la
description de cet espace, Pausanias en rattache d’autres, concernant des lieux
adjacents à l’agora (à partir de III,
12, 1), comme cette voie menant vers l’ouest et le théâtre (Pausanias, Description de la Grèce, III, 14, 1-2) :
Ἐκ δὲ τῆς ἀγορᾶς πρὸς ἥλιον ἰόντι δυόμενον τάφος κενὸς Βρασίδᾳ τῷ Τέλλιδος πεποίηται· ἀπέχει δὲ οὐ πολὺ τοῦ τάφου τὸ θέατρον, λίθου λευκοῦ, θέας ἄξιον. τοῦ θεάτρου δὲ ἀπαντικρὺ Παυσανίου τοῦ Πλαταιᾶσιν ἡγησαμένου μνῆμά ἐστι, τὸ δὲ ἕτερον Λεωνίδου— καὶ λόγους κατὰ ἔτος ἕκαστον ἐπ’ αὐτοῖς λέγουσι καὶ τιθέασιν ἀγῶνα, ἐν ᾧ πλὴν Σπαρτιατῶν ἄλλῳ γε οὐκ ἔστιν ἀγωνίζεσθαι—, τὰ δὲ ὀστᾶ τοῦ Λεωνίδου τεσσαράκοντα ἔτεσιν ὕστερον ἀνελομένου ἐκ Θερμοπυλῶν τοῦ Παυσανίου. Κεῖται δὲ καὶ στήλη πατρόθεν τὰ ὀνόματα ἔχουσα οἳ πρὸς Μήδους τὸν ἐν Θερμοπύλαις ἀγῶνα ὑπέμειναν.
« Quand, de l’agora, on va dans la direction du soleil couchant, a été bâti un cénotaphe pour Brasidas, le fils de Tellis. Peu éloigné de la tombe se trouve le théâtre, en marbre, qui mérite d’être vu. En face du théâtre se trouve un monument de Pausanias, qui a commandé à Platées, quant à l’autre, c’est le monument de Léonidas — et chaque année en leur honneur on prononce des discours et on organise des concours auxquels personne d’autre que les Spartiates ne peut participer — et les ossements de Léonidas, quarante ans plus tard, ont été recueillis et rapportés des Thermopyles par Pausanias. Il y a aussi une stèle qui énumère avec leur patronyme ceux qui ont soutenu contre les Mèdes le combat des Thermopyles. » (Trad. O. Gengler, texte établi par M. Casevitz, pour Les Belles Lettres)
C’est de ce texte que provient l’élément les plus significatif pour
localiser approximativement l’agora
de Sparte : elle se trouvait à l’est du théâtre, puisque celui-ci est
proche du cénotaphe de Brasidas, lui-même à l’ouest de l’agora. Or le théâtre antique de Sparte est parfaitement identifié.
Il s’appuie sur le flanc sud d’une colline qui borde une oliveraie au nord de
la ville moderne. Le théâtre, connu déjà de bon nombre de voyageurs modernes, a
fait l’objet de fouilles systématiques dans les années 1900, 1920 et 1990.
C’est donc là, nous apprend Pausanias, que se trouvaient deux monuments
funéraires élevés en l’honneur de Léonidas, le héros des Thermopyles, et de
Pausanias, homonyme de notre auteur, qui mena les Grecs à la victoire contre
les Perses à la bataille de Platées (479 av. n. è.). Une stèle portait
également le nom des 300. Le texte de Pausanias qui mentionne également un
concours réservé aux seuls Spartiates confirme et complète le témoignage de
l’inscription pour Cléon, fils de Sosicratès, que nous avons déjà évoquée.
Pausanias nous apprend que le concours était associé à une performance
rhétorique et confirme qu’il honorait Léonidas dont le nom doit être restitué
dans l’inscription. Celle-ci nous révèle en retour que la célébration incluait « les
autres héros » où l’on reconnaîtra les 300 dont la stèle commémorative
jouxtait les monuments de Léonidas et de Pausanias. Mais comment était
structuré cet espace ? Et en quoi consistait ces concours ? Ce sera
l’objet d’un prochain billet…
Pour en savoir un peu plus
sur Pausanias, quelques livres récents :
Chr. Habicht, Pausanias’ Guide to Ancient Greece, Berkeley, 1985, 2e éd., 1998
(Sather Classical Lectures, 50) ; il en existe une version
allemande : Pausanias und seine
»Beschreibung Griechenlands«, Munich, 1985.
W. Hutton, Describing
Greece. Landscape and Literature in the Periegesis of Pausanias, Cambridge,
2005.
M. Pretzler, Pausanias. Travel Writing in Ancient Greece, Londres, 2007
(Classical Literature and Society).
sur la tradition du texte :
A. Diller, « Pausanias in the Middle Ages », TAPhA, 87 (1956), p. 84-97 = Studies in Greek Manuscript Tradition, Amsterdam, 1983,
p. 149-162 avec les n. 19-20 p. 480 ; « The manuscripts of
Pausanias », TAPhA, 88 (1957),
p. 169-188 = Studies,
p. 163-182 avec les n. 21-24 p. 480.
M. Casevitz dans M. Casevitz, F.
Chamoux, J. Pouilloux, Pausanias,
I: L’Attique,
xxxi-xlvi.
D. Marcotte, « La redécouverte de Pausanias à la
Renaissance », Studi Italiani di
filologia classica, 85, 3e serie, 10 (1992), p. 872-878.
sur les pratiques descriptives de Pausanias :
J. Akujärvi, « One and ‘I’ in the Frame Narrative : Authorial Voice, Travelling Persona and Adressee in Pausanias’ Periegesis », The Classical Quarterly, 62, 2012, 327-358.
O. Gengler, « Ni réel ni imaginaire: l’espace décrit dans la Périégèse de Pausanias », in: Géographies imaginaires, Laurence Villard (éd.), Rouen: PURH, 2009, 225-244
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